• Viens chez moi, j'habite dans un lilong

    Lorsque je me promène dans Shanghai, j’ai l’impression de passer à côté de quelque chose. J'aimerais palper la vraie vie d'un quartier, une ambiance, le charme d’une petite place peuplée de petits vieux ou des petites échoppes comme lieu de rencontre des shanghaiens mais toutes ces rues semblent sans âme. J'arpente les quartiers les plus anciens, je traverse ces grandes artères qui permettent d’aller d’un point à un autre et fatalement celles-ci manquent de vie - enfin, de la vie il y en a vu le nombre de chinois qui comme moi vont d’un point à un autre. Mais où sont ceux qui vivent à Shanghai, les vrais habitants quoi ? Je ne trouve pas… J’aime l’architecture, le patrimoine, les petits coins insolites, j’ai l’impression qu’ici tout est parsemé, caché, difficilement accessible. L’histoire d’une ville s’exprime immanquablement sur le plan architectural pourtant ici, j’ai l’impression de ne pas saisir. Certes, il y a cette avalanche de modernisme, cette forêt de gratte-ciel qui s’offre aux yeux mais Shanghai a un passé si riche, celui des dynasties, des concessions, des guerres civiles, l’habitat doit être marqué par cette histoire, alors où se cachent ses habitants hormis dans ces nouveaux building?  

    Et bien pour les trouver, il faut s’aventurer un peu - avec un guide je te rassure, je ne suis pas devenue aventurière même si je vis avec un gitan…  - derrière un portail qui semble gardé, parfois à grand renfort d’uniforme, parfois par un simple cordonnier ou même un petit vieux. Des gardiens qui ne gardent pas grand-chose mais qui observent et peuvent à l’occasion guider le « coursier » ou le visiteur. Passé le portail, au fronton duquel est inscrit le nom du Lilong, un nom porte bonheur ou de bon présage évidemment ! « paix éternelle », « longévité et santé », je suis surprise par le calme soudain. Chut... on entend même les criquets accrochés au mur dans un panier en osier (ils ne chantent pas comme dans le Sud... dommage, un pastis et on aurait pu s'y croire).

    Ci-dessous, une artère, très commune, sans charme (jour de lessive sûrement!), sur la deuxième photo, derrière le cycliste, il y a un porche s'ouvrant sur un Lilong, tout comme les trois autres photos. Entrons...

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    Pour la petite histoire... (car j'ai bien écouté...)

     L’origine des lilongs remonte à 1853 quand une révolte détruisit la moitié de la ville et obligea la Cour impériale à demander de l’aide aux étrangers britanniques, américains et français pour la reconstruction de la ville. Ceux-ci étaient arrivés en 1846 pour les britanniques et 1848 pour les français et américains (fin de la guerre de l'Opium, Traité de Nankin, plusieurs ports s'ouvrent aux bateaux occidentaux qui déversent notamment des tonnes d'opium... mais oui je te raconterai). Une occasion inespérée pour ceux-ci de développer leur territoire et asseoir leur influence dans la ville. La révolte des Taiping entre 1860 & 1863 – conduit par un révolutionnaire se prenant pour le frère de Jésus après avoir lu les écrits d’un missionnaire… - accentua ce phénomène avec la venue massive de Chinois à l’intérieur des concessions de Shanghai cherchant sécurité et protection. Les britanniques et américains réunis au sein de la concession internationale et les français, faisant bande à part, choisissent alors les méthodes qu’ils connaissent pour les règles d’urbanisation mais préservent le style des habitations chinoises ainsi que leurs modes de construction en arêtes de poisson : une artère centrale nord/sud et de nombreuses ramifications est/ouest. Les maisons, appelées Shikumens sont alignées le long de ces nombreuses impasses avec les ouvertures vers le sud, face au soleil et tournant le dos à l’ennemi d’après les principes du Feng Shui. Devant la plupart des shikumens se dresse le porche, porte d’entrée donnant sur une petite cour, un puits de lumière. Le porche a une fonction sociale, il permet aux habitants d’afficher les évènements de la famille, un mariage, une naissance, un décès.

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    Les étrangers  rationalisent également les constructions pour optimiser les capacités d’accueil: interdiction du bois et imposition de la brique pour éviter les incendies, contigüité, répétition et alignement. Le développement des lilongs a donc évidemment été influencé par la présence des anglais, américains, français ou japonais, d’où les différents types d’architecture qui s'expriment au cœur de ces ruelles, à la croisée de l’Orient et de l’Occident. 

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    Le développement économique de la ville et de la population permettent une très forte croissance de ce modèle urbain jusqu’en 1949. 80% des Shanghaïens y vivaient dans les années 1940, ils ne sont plus que 10 à 15% (bon rapporté à la taille de la ville, ça fait toujours du monde…). Ces habitations ont mal vieilli pendant les années endormies de Shanghai, entre 1950 et 1990, avant que la ville ne devienne pour la deuxième fois de son histoire la Perle de l’Orient. Ces habitats sont en effet aujourd’hui vétustes; avec un extérieur parfois restauré mais des intérieurs souvent précaires et délabrés. Et quand l’Administration décide de restaurer, c’est à la chinoise… un bon coup de pinceau partout. La couleur actuellement décrétée, c’est le jaune.

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    Autre problème, la pression démographique étant si importante, je découvre que des familles s’entassent dans quelques mètres carrés.  Pour s’adapter à cela, de nombreuses habitudes sont apparues, comme l’utilisation de l’espace public comme extension de sa maison : aux fenêtres, on voit des lavabos là où nous mettons plutôt des fleurs. Partout le linge sèche devant les fenêtres sur des longues tiges de bambou, mais aussi dans la rue même, au beau milieu de celle-ci. La  table a sa place à demeure devant la porte, dans la rue par exemple. Le lilong est un lieu commun,  on s’y lave, les éviers étant en bas avec un robinet par famille, on y prépare les légumes, on lave le linge, on y mange en famille. Je m’aperçois que ça fait longtemps que le chinois a perdu le sens de l’intimité et je comprends enfin pourquoi cette fameuse visite médicale chinoise m’a mise si mal à l’aise. Dans un habitat traditionnel chinois, 3 générations vivent ensemble parfois même avec les cousins, épouses, enfants avec pour seul élément de séparation, un rideau. Pas étonnant que les parcs publics soient devenus à la nuit tombée, le « refuge » des couples… Donc ne pas se promener dans un parc public la nuit tombée, sauf si tu veux savoir comment on fait des petits chinois.

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    Influence art-déco sur ce porche cidessus. Carreaux de ciment peint dans cette shikumen ci dessus. Le portail étant ouvert, nous avons une vue sur la cour intérieure. Parfois, pousse un arbre, signe de richesse de la famille. Ci dessous, la Shikumen est particulièrement belle, sculptée, des portes anciennes, c'est un travail d'orfèvre. Les habitants s'en rendent-ils compte?

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     Viens chez moi, j'habite dans un lilong Viens chez moi, j'habite dans un lilong Quartiers en sursis...

    Si les quartiers décrits ci-dessus sont parfois au bord de saturation et risquent d’être détruits pour reloger décemment tout le monde dans des grands immeubles (version officielle, autre version: un building flambant neuf pour bureaux et/ou riches shanghaiens), d’autres quartiers ont le vent en poupe : ceux des « Garden Style » notamment. Rénovés, certains attirent les personnes aisées, les bobos de Shanghai (un peu moins bohème que « nous aut’ » comme dirait Billy…) qui souhaitent bénéficier des avantages que proposent ce genre de quartier. Le prix des loyers exclue bien sûr les anciens habitants.

     Viens chez moi, j'habite dans un lilong "A démolir" Viens chez moi, j'habite dans un lilong

    Un autre style de réhabilitation des lilongs est la « démolition/reconstruction », comme dans le quartier de Xintandi aux pieds de la vieille ville, proche du Bund, le prix du terrain a augmenté de 10.000 en quelques années. Pour mieux reconstruire, la municipalité vend un certain nombre de mètres carrés pouvant être composés de Lilongs et donc d’habitants à un promoteur. Ce dernier construit alors des barres d’immeubles à 30 km du centre de Shanghai pour y reloger les habitants et tente alors de les convaincre avec plus ou moins de conviction, de force de déménager. A chaque fois qu’un habitant quitte sa shikumen, celle-ci est démolie par la société de démolition mandatée sur place. Les autres habitants se retrouvent alors face à un tas de gravats… Conflit de génération en plus, les familles étant composées des grands-parents, parents et enfant unique, pourri gâté, seul les jeunes souhaitent généralement quittéer le quartier pour vivre dans des immeubles modernes, pourvus de toilettes, de salle de bain, etc. La vie communautaire disparait, un morceau de l’histoire de Shanghai avec. Quoi? il n'y a pas de Commission de sauvegarde du patrimoine, d'association de défense du patrimoine? Toute forme d'association est interdite et tout ce qui peut être un frein au développement économique n'est pas utile, c'est comme la protection de l'environnement, pourquoi se créer des difficultés... je te le demande?

    Sur cette photo, des habitants "résistent", ils finiront par partir évidemment. C'est très touchant de les voir avec "que leurs yeux pour pleurer". Certains sont des migrants, les chinois venus d'autres provinces de Chine, leur départ leur font perdre alors tous leurs droits (scolarité, santé, chomâge, pension), ils sous-louent souvent un espace de vie ou de commerce et ne seront pas indemnisés. Tout est alors à refaire...

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